Nouvelle-Aquitaine, terre d’asile ?

Le nombre des demandeurs d’asile en France est en hausse depuis le début de la « crise des réfugiés » en 2014. Cependant, malgré la médiatisation qui a tendance à entourer le sujet, la proportion des réfugiés par rapport au reste de la population demeure extrêmement faible. La Nouvelle-Aquitaine reflète-elle ces tendances nationales ? Avec quelles conséquences pour les réfugiés ?

En 2016, 362 753 personnes sont entrées en Europe en passant par l’Espagne, l’Italie ou la Grèce selon les données statistiques des flux migratoires du Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Bien que le chiffre soit élevé, il est en net recul par rapport à l’année précédente. En 2015, 1 015 078 migrants étaient arrivés sur le vieux continent en passant par la Mer Méditerranée, 19% d’entre eux étaient des femmes et 32% des enfants.

Une hausse des demandes au niveau national

Le nombre de demandes d’asile en France a progressé en 2016, puisque 85 726 demandes d’asile ont été enregistrées au cours de l’année, soit une hausse de 6,5% par rapport à 2015 (hors personnes placées en procédure Dublin). Si cette évolution est notamment le résultat d’une profonde réforme de l’Ofpra entamée dès 2013, elle est surtout le reflet de situations de guerres ou violences généralisées prévalant dans plusieurs pays (Afghanistan, Syrie, Irak …), lesquelles ont généré un afflux de demandes d’asile menant très largement à la reconnaissance d’une protection au titre de la convention de Genève ou de la protection subsidiaire.

Les pays de provenance des primo-demandeurs d’asile les plus représentés en 2016 sont des pays où sévissent des conflits armés intérieurs ou internationaux. C’est le cas du Soudan (1er rang des pays de provenance), de  l’Afghanistan (2ème rang) et de la Syrie (5ème rang.)


En 2016, 36 553 (mineurs inclus) ont obtenu une protection internationale en France (Ofpra + CNDA). Le nombre d’admissions de ces dernières années a fortement progressé, passant d’environ 14 000 personnes protégées en 2012 à plus de 36 500 (mineurs inclus) quatre ans plus tard. 20,4 % des demandes ont fait l’objet d’un avis d’admission par l’OFPRA en 2016, soit une légère baisse par comparaison aux 26 % de l’année 2015.

Cet infléchissement s’explique notamment par la forte diminution des demandes syriennes, dont le taux d’admission avoisine les 90 %, comme des demandes centrafricaines et irakiennes. Les femmes représentent 40,4 % des admissions. La Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) a accordé 24 % de l’ensemble des protections.

Les demandeurs d’asile répartis sur l’ensemble du territoire

En septembre 2016, le gouvernement de Manuel Valls annonçait la création de 12 000 places d’hébergement dans toute la France afin de régler l’épineux problème de la jungle de Calais. Le ministère de l’Intérieur avait alors décidé d’écarter dans la répartition les régions Ile-de-France et Corse. Chaque préfet s’était donc engagé à créer de nouvelles places d’accueil dans les CADA (centre d’accueil des demandeurs d’asiles) et CAO (centre d’accueil d’orientation) de sa région.

Le 22 septembre 2016, le préfet de la région Nouvelle Aquitaine annonçait ainsi la prise en charge de 900 migrants supplémentaires et leur répartition dans l’ensemble des départements de Nouvelle Aquitaine. La hausse des demandes d’asile est sensible entre 2015 et 2016.

Ces chiffres restent toutefois faibles si on les compare au total de la population. En Île-de-France par exemple, on compte 24 020 premières demandes d’asile en 2016, soit environ 0,2% de la population du département. En Nouvelle-Aquitaine, les demandeurs d’asile représentent 5 personnes pour 10 000 habitants, soit 0,05 % de la population totale.

Certains départements, comme les Landes, voient une hausse très importante des demandes d’asile. 142 réfugiés ont été accueillis dans les CAO des Landes pendant l’hiver 2016/2017 : 45 à Vieux-Boucau, 48 adultes éthiopiens à Aire-sur-l’Adour et 49 mineurs soudanais à Biscarrosse.

Dans ce département, on remarque un taux élevé des acceptations de la demande d’asile, avec plus de 50 % d’admissions en 2016. Cette forte proportion d’acceptation des demandes d’asile dans les Landes reste, selon une représentante du Centre d’accueil des demandeurs d’asile (CADA) de Mont-de-Marsan, une pure coïncidence.

En Creuse, l’augmentation du nombre des demandeurs d’asile s’explique par l’ouverture en 2016 de 40 places supplémentaires en CADA et l’ouverture du CAO de Guéret d’une capacité de 60 places. La capacité d’accueil est ainsi passé de 50 en 2015 à 160 en 2016 pour faire face à la re-localisation des réfugiés, suite aux démantèlements des camps de Paris et de la jungle de Calais. Deniz Karakus, coordinatrice du pôle migrant au CADA de La Souterraine, confirme que la majorité des demandeurs d’asile accueillis en 2016 sont originaires d’Afghanistan et du Soudan.

Depuis la réforme de l’OFPRA, l’instruction des dossiers s’est accélérée et aujourd’hui les demandeurs d’asile peuvent espérer une réponse dans les neufs mois. Denis Karakus souligne que ce délai raccourci pose cependant la question de leur intégration : « Il manque aujourd’hui des services de suite pour accompagner les personnes ayant obtenu le droit d’asile et favoriser leur intégration: en neuf mois, il est difficile d’acquérir les codes sociaux et la maitrise de la langue ».

En Gironde aussi, les demandes d’asile augmentent en 2016, mais l’écart entre demandes et admissions demeure important. En 2016, 1 660 personnes ont vu leur demande de droit d’asile refusée à la sortie des procédures. Si ces dernières ont été réformées depuis 2015, elles restent compliquées et peuvent durer plusieurs mois.

Réfugiés : un long parcours pour la reconnaissance de leur statut

Gnouma est un ressortissant guinéen, à Bordeaux depuis janvier 2016. Il est arrivé en avion, « envoyé » depuis la Guinée « comme on envoie un colis de bagages ». S’il ne souhaite pas s’étendre sur les circonstances de son arrivée en France, une « trop longue histoire » selon lui, le jeune guinéen s’exprime toutefois sur sa situation actuelle : il s’est vu refuser sa demande d’asile auprès de l’Ofpra en avril 2017. Il fait donc appel à la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) et est en attente d’une réponse depuis cinq semaines. « C’est pas facile », souligne celui qui alterne entre trottoirs et logements précaires depuis près d’un an et demi maintenant. Sans une admission au droit d’asile, il ne peut bénéficier d’une aide au logement, malgré sa situation vulnérable.

C’est aussi le cas des personnes assujetties au règlement Dublin III, qui statue que les réfugiés doivent obligatoirement effectuer leur demande d’asile dans le pays européen où ils ont été enregistrés pour la première fois. En application de cette procédure, les états disposent du droit de renvoyer les demandeurs d’asile, principalement vers des pays voisins comme l’Allemagne ou l’Italie.

11 réfugiés, 10 soudanais et un érythréen, sont placés en rétention administrative à Bordeaux depuis près d’un mois en application du règlement Dublin III. Une manifestation de soutien a lieu devant l’Hôtel de Police de Bordeaux mercredi 24 mai. Laurence Lordes, bénévole engagée aux côtés des demandeurs d’asile depuis leur arrivée au CAO de Mérignac en fin 2016, exprime haut et fort son inquiétude quant au sort des détenus :  »Ils les ont menottés lors d’une convocation obligatoire à la préfecture : la police des frontières les y attendait. Ils veulent les renvoyer en Italie, alors que ce pays vient de signer un accord avec le Soudan. Si on les renvoie là-bas, il y a un risque qu’ils soient obligés de retourner dans leur pays, qu’ils essaient justement de fuir… »

Des bénévoles manifestent devant l’Hôtel de Police de Bordeaux en soutien aux 11 réfugiés détenus

Laura, jeune bénévole et étudiante en carrières sociales, partage la détresse de Laurence :  »Ils sont devenus nos amis, c’est dur de savoir qu’ils sont dans cette situation. J’étais avec l’un d’entre-eux dimanche soir, et il tremblait physiquement de peur à l’idée de devoir se rendre à la préfecture. » L’association du CAO de Mérignac a mis en ligne une pétition qui réclame que le traitement des dossiers de ces demandeurs d’asile soit effectué en France. Cela leur permettrait de rester là où ils ont déjà des liens, établis au cours des six mois de séjour dans la région bordelaise, et où le « processus d’intégration est déjà bien entamé, » estime Laurence.

D’autres « dublinés » à Bordeaux ne sont pas en rétention mais cela ne rend pas leur avenir plus sûr. H.*,  jeune guinéen aux cheveux tressés, arrive en France en février 2016. Forcé de quitter la Guinée en 2015,  »juste avant de passer mon bac » et séparé de sa famille, il rejoint la Libye. Il affronte divers traumatismes, les milices armées, la prison et un naufrage, avant de pouvoir enfin traverser la Méditerranée et mettre pied sur le sol italien. Il est enregistré à son arrivée dans un « hotspot » ou « centre d’enregistrement » qui relève ses empreintes et l’inscrit de fait dans la procédure Dublin. Il passe deux mois en Italie avant de partir en France  »rejoindre un ami de famille. » Suite à des complications, il se retrouve à Bordeaux  »sans personne ».

Les six mois suivants, H. les passe à la rue.  »À l’OFII (Office Français de l’intégration et de l’immigration, ndlr) on me disait, on priorise les familles et les malades ici. Si tu veux un logement, il faut que tu fasses une demande d’asile. Mais ça, je ne pouvais pas le faire parce que je suis ‘dubliné’ en Italie. Tu imagines, février, mars, passés à la rue, le froid qu’il fait ? » Depuis, il passe sa vie entre la rue et les logements temporaires, mais cela ne le décourage pas dans ses diverses activités : bénévole aux restos du cœur deux fois par semaine et dans un jardin communal le week-end, il consacre le reste de son temps à des cours de français ou à l’écriture :  »Je fais des articles sur la vie dans la rue, les difficultés que rencontrent les autres comme moi … Sur ce qui m’arrive quoi ». Pour l’heure, il attend une convocation de l’Ofpra et de savoir si son dossier de demande d’asile pourra être  »dé-dublinisé », ce qui lui permettrait d’effectuer une demande en France.

*H. a souhaité garder l’anonymat

Enquête réalisée par Fabienne Even & Amy McArthur